1 an après Irma : quel bilan à St-Martin ?

Interview de Jean-Marie Thévenet, directeur de Trait d'Union France Victimes St Martin

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Quelle est la constitution actuelle de vos équipes ?

L’équipe est actuellement composée de deux juristes, une assistante sociale, une psychologue salariée, une psychologue prestataire et d’un directeur (moi-même).

Trait d’Union assure 4 permanences d’une demie journée au sein des deux MSAP (Maisons de Service Au Public) mises en place en juin et août 2018, en partenariat entre l’État et la collectivité de Saint-Martin, dans les quartiers prioritaires de Sandy Ground et le Quartier d’Orléans. L’ouverture des MSAP nous a rapproché de personnes qui n’avaient jusqu’alors pas eu accès à notre association. Cela nous permet d’accueillir de nouvelles victimes, même un an après la catastrophe.

Nous assurons également des permanences sur rendez-vous dans nos locaux.

Quels sont vos partenaires sur place ?

Nous travaillons évidemment en partenariat avec l’État à travers la Justice, la Préfecture et la collectivité locale, ainsi qu’avec la CAF, la Sécurité Sociale et Pôle Emploi. Nous collaborons aussi avec des organismes associatifs : La Croix Rouge, les Compagnons Bâtisseurs, le Manteau de Saint-Martin et Liaisons Dangereuses.

Nous sommes également en lien avec la gendarmerie, dans laquelle nous allons rouvrir deux permanences par mois sur l’aide aux victimes d’infractions pénales. Nous travaillons aussi avec l’intervenant social de la gendarmerie.

Quel a été le travail de Trait d'Union France Victimes St Martin auprès des sinistrés ?

Irma a aggravé et révélé une situation sociale préexistante déjà très difficile. 2/3 des entretiens assurés au sein de notre association ont une vocation sociale. Il s’agit le plus souvent de problèmes liés au versement d’aides sociales. Les dispositifs ne sont pas adaptés à la situation et il est souvent difficile pour les personnes victimes d’entrer en contact avec un interlocuteur car les organismes ne reçoivent pas de public et il y a de nombreux problèmes sur les réseaux de télécommunication. Les victimes se tournent vers nous pour obtenir des réponses. Les procédures ont pu être simplifiées grâce à la mise en place de points d’entrée avec les organismes (CAF et Sécurité Sociale) mis en place à travers le CLAV (Comité Local d’Aide aux Victimes). Les associations d’aide aux victimes sont des courroies de transmission entre les dispositifs de droit commun.

Concernant l’information juridique, nous accueillons de nombreuses personnes en litige avec leur bailleur ou leur assurance.

Nous assurons également un suivi auprès des victimes. Nous reprenons régulièrement contact avec elles pour rester informé des évolutions de chaque situation.

Quelle est la situation actuelle à Saint-Martin ?

La situation économique est encore très difficile. À titre d’exemple, à l’heure actuelle, à Marigot seul 1/3 des commerces a rouvert. Avant le passage de l’ouragan, Saint-Marin accueillait 2 millions de touristes par an. Aujourd’hui, il n’y a une capacité réduite d’accueil de touristes. L’île repose actuellement sur une économie sous « perfusion ».

Sur le plan privé, de nombreux particuliers n’ont pas encore pu reconstruire leur habitation car ils attendent des dédommagements. La majorité des assurances ne prennent pas en charge la perte d’usage d’un bien en cas de catastrophe naturelle ; les victimes sont donc relogées à leurs frais, ce qui les confrontent à de grosses difficultés économiques. Pour les victimes les plus démunies, des fonds de secours ont été débloqués, comme celui de la Fondation de France, dont la redistribution a été assurée par France Victimes.

Quelle a été la plus-value de la Fédération France Victimes ?

L’expertise et le savoir-faire de la Fédération sont des ressources non négligeables. C’est une vraie plus-value de pouvoir se tourner vers la Fédération pour des demandes d’informations, notamment sur des aspects juridiques, ou pour obtenir des appuis.

Faire partie du Réseau France Victimes nous a permis de créer du lien avec des services comme le SADJAV ou la Fondation de France.

Enfin le nom de France permet aux institutions (comme la Justice ou la Préfecture) de nous identifier plus facilement.

Habituellement, les AAV n’ont pas pour compétence d’apporter de l’aide financière ou matérielle. Est-ce un service qu’il serait utile de développer pour d’autres victimes, que cela rend l’aide aux victimes plus complète ?

En effet, France Victimes a pour la première fois apporté de l’aide matérielle aux victimes, en participant aux distributions d’eau et de nourriture dans les semaines qui ont suivi le passage de l’ouragan, et de l’aide financière, en assurant la gestion des fonds sociaux de la Fondation de France pour les sinistrés de St-Martin (600 000 € au profit de 2 100 personnes). Ce type de soutien apporte une plus-value à notre action dans le cadre d’une catastrophe naturelle, à condition de ne pas se substituer aux services sociaux des collectivités territoriales ou aux associations qui apporte plus spécifiquement ce type d’aide (Croix Rouge, …).

Ce type d’actions n’est pas transposable à d’autres situations. Toutefois, disposer d’une ressource financière permettrait une prise en charge plus globale de la victime dans certaines situations. Je pense par exemple à une prise en charge de frais d’hébergement pour les personnes victimes de violences conjugales contraintes de quitter leur domicile. À Marigot, le centre d’hébergement d’urgence est limité à 12 places, ce qui laissent de nombreuses victimes sans solution.

On sait que de nombreux professionnels ont été touchés par cette catastrophe, comme des professionnels de la santé, et vous-même, à titre d’association mais aussi à titre personnel. Est-ce que cela modifie le regard sur les victimes ou la posture sur la manière de prendre en charge les victimes ?

Il n’est pas simple d’être à la fois aidant et victime. Dans ces circonstances, je pense que notre regard est plus empathique, plus compatissant et que nous mettons encore plus de conviction dans nos actions. La principale difficulté est d’arriver à rester neutre. L’équipe de Trait d’Union a réussi à avoir la distance nécessaire et a surtout fait preuve d’une grande abnégation.

C’était la première fois que vous veniez en aide à des victimes d’une catastrophe naturelle. Au vu de la typologie de ces victimes, diriez-vous qu’il y a des différences entre les victimes de délinquance et les victimes de catastrophes naturelles ?

Je ne pense pas qu’il y ait de différences entre une victime d’infraction pénale et une victime de catastrophe naturelle sur le plan psychologique. Dans les deux cas, la victime passe par les mêmes phases : état de sidération et sentiment d’injustice et d’impuissance. Il est alors utile et souvent nécessaire de pouvoir être prise en charge par une association d’aide aux victimes. Sur le plan juridique, nous ne sommes pas confrontées aux mêmes problématiques. Il n’y a pas de judiciarisation au plan pénal. Nous pouvons cependant être confrontés à des situations qui relèvent des juridictions civiles, par exemple en cas de litiges entre bailleurs et locataires. Il faut alors pouvoir orienter les victimes vers ces juridictions de jugement. Concernant l’aspect social, une catastrophe naturelle peut entrainer une survictimisation, surtout lorsqu’elle touche des populations fragiles (victimes de violences conjugales…).

Dans les 3 axes d’activités des AAV, il y a des similitudes et des parallèles entre les victimes de délinquance et les victimes de catastrophes naturelles. La grande différence, c’est qu’une catastrophe naturelle est souvent plus massive.