Afin d’assurer un traitement plus rapide des procédures criminelles et de limiter la pratique de la correctionnalisation, l’article 63 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a prévu, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, le jugement en premier ressort des personnes majeures accusées d’un crime puni de quinze ou de vingt ans de réclusion, hors récidive légale, par une cour criminelle départementale (« CCD »), composée de cinq magistrats, à la place de la cour d’assises avec jurés.

 La loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a généralisé les cours criminelles départementales à compter du 1er janvier 2023 à l’ensemble du territoire national (hormis Mayotte), en prolongeant l’expérimentation en cours durant toute l’année 2022 dans les 15 sites pilotes (Ardennes, Calvados, Cher, La Réunion, Moselle, Yvelines, Seine-Maritime, Pyrénées-Atlantiques, Hérault, Isère, Val d’Oise, Guadeloupe, Loire-Atlantique, Haute-Garonne et Guyane).

Cette loi a aussi créé un comité d’évaluation du dispositif, chargé d’établir un rapport public et de formuler toute proposition visant à améliorer le fonctionnement de ces juridictions, dont la Fédération France Victimes faisait partie, en qualité de membre titulaire.

Ce rapport, qui vient d’être publié, a notamment pour but d’évaluer l’impact de ces cours criminelles départementales, tout en suggérant plusieurs pistes d’évolution.

Bilan de l’activité des cours criminelles départementales 

Au total, entre le 5 septembre 2019 et le 14 juin 2022, 387 affaires ont été jugées par les CCD, lesquelles concernaient 455 accusés.

Il est apparu que les CCD avaient jugé environ 42 % des affaires habituellement traitées par les cours d’assises. Ainsi, les CCD ont rapidement atteint un niveau d’activité « important ».

S’agissant de la durée des audiences, le temps d’audience consacré à ces 387 affaires était de 863 jours (soit 2,23 jours en moyenne par affaire). Selon les éléments transmis par les CCD, il aurait fallu 982 jours d’audience aux cours d’assises pour juger ces affaires. Ainsi, le temps d’audience devant une CCD serait, à contentieux identique, environ 12 % moins long que celui devant une cour d’assises.

En ce qui concerne le délai d’audiencement, il était en moyenne de 11,8 mois, ce délai pouvant être 2 à 3 fois plus élevé devant une cour d’assises que devant une CCD. À noter que ces délais varient beaucoup d’une juridiction à une autre.

Au total, 428 personnes ont été condamnées par les CCD, et 25 ont été acquittées, soit un taux d’acquittement de 5,5 %, similaire à celui des cours d’assises jugeant des accusés majeurs. Parmi les personnes condamnées, 83 % l’ont été pour des faits de viol. Sur ces 428 condamnations, 100 ont donné lieu à un appel : le taux d’appel est ainsi plus important que celui relevé pour les décisions rendues par les cours d’assises dans le même type d’affaires (pour des cas de viol, environ 22 % d’appels en CCD contre 17 % en cour d’assises), et « légèrement supérieur à celui attendu ».

98 % des peines prononcées sont des peines d’emprisonnement ferme ou de réclusion criminelle. On constate que ces peines sont très proches de celles prononcées par les cours d’assises, pour des faits identiques.

Procédure suivie devant la cour criminelle départementale 

Il ressort du rapport que les principes d’oralité des débats, du contradictoire, et que le format procédural criminel ont été scrupuleusement respectés par les CCD des 15 sites pilotes.

Dans le cadre de l’expérimentation, les règles de procédure mises en œuvre étaient celles appliquées devant la cour d’assises, ce qui a conduit à réduire le temps d’audience d’un jour, en raison du temps gagné par l’absence de constitution du jury et lors du délibéré. À cet effet, le directeur des services judiciaires a rappelé que l’objectif de la CCD n’était pas de « gagner des jours » mais de rendre une justice de qualité avec des délais plus courts.

Néanmoins, le comité a noté que des personnes auditionnées avaient exprimé une inquiétude quant à la fixation d’affaires sur une journée, tandis que la peine encourue était de 20 ans de réclusion.

Également, un membre du CNB (Conseil National des Barreaux) a dénoncé un risque de dérive vers des audiences proches de celles de la comparution immédiate, de nature à engendrer une augmentation des appels devant les cours d’assises. À ces critiques, le comité a relevé qu’il ne s’agissait que de craintes pour l’avenir, et a indiqué qu’elles ne résultaient ni des constats statistiques établis par la DACG (Direction des Affaires Criminelles et des Grâces), ni de ceux recueillis par le CNB.

Lors de ses auditions avec les avocats de parties civiles, le comité relève que devant les CCD, les victimes ont indiqué avoir moins d’appréhension à s’exprimer devant une juridiction composée d’un nombre plus réduit de membres, ce que les associations d’aide aux victimes ont également rapporté.

Selon le comité, l’expérimentation a été menée de façon satisfaisante en respectant le format procédural criminel ; dès lors, la généralisation des CCD exige le maintien de ce format, qui passe par le respect des principes de l’oralité des débats et du contradictoire, qui supposera une capacité de mobiliser les ressources humaines suffisantes.

L’un des objectifs de cette réforme était aussi d’éviter les correctionnalisations massives : or, les auditions ont montré globalement qu’il n’y avait pas eu de baisse significative. Le comité rappelle que si l’un des objectifs était d’éviter, les correctionnalisations massives, il convient de ne pas en interdire le principe, et qu’une telle décision nécessite toujours l’accord (et donc l’information précise et circonstanciée en amont) de la partie civile.

Le comité partage, par ailleurs, « le constat général d’une difficulté d’évaluation de l’impact des CCD sur la correctionnalisation », et préconise une étude particulière sur ce point. 

Un besoin impérieux de disposer de ressources humaines suffisantes 

Lors des auditions, le comité a relevé le constat général d’une absence de ressources humaines suffisantes (magistrats et greffiers), impactant sur les délais d’audiencement, et risquant une surcharge des chambres de l’instruction.

Le directeur des services judiciaires, dans son audition, a souligné qu’il était difficile de disposer des salles d’audiences permettant de tenir simultanément des audiences d’assises et de CCD. Il a également partagé son inquiétude quant à la situation en Outre-Mer, qui pourrait être exclue du dispositif de généralisation, Mayotte ayant déjà été exclue par anticipation, faute d’effectifs suffisant.

Selon le comité, aucun chiffre concret n’a été avancé, permettant de déterminer le nombre de magistrats et de greffiers rendus nécessaires au fonctionnement généralisé des CCD dans les conditions prévues par la loi. Il souhaiterait qu’une évaluation soit réalisée à cet égard et préconise en tout état de cause un renforcement des effectifs, qui apparait néanmoins indispensable au fonctionnement des CCD, notamment un recrutement substantiel de magistrats et de greffiers.

Principales perspectives et recommandations du comité 

Certaines personnes auditionnées se sont interrogées sur l’opportunité d’élargir la compétence des CCD à l’ensemble des affaires criminelles. Le comité estime que la question apparait encore prématurée en l’état des ressources humaines. Il exclut également l’idée que les CCD ne soient compétentes que lorsque la culpabilité est reconnue par l’accusé, estimant que cette reconnaissance pouvait être évolutive.

Le comité serait favorable à l’extension des CCD au jugement des accusés récidivistes, sous réserve d’une modification de la loi, ce qui permettrait aussi d’éviter un risque d’incompétence soulevée à l’audience de la CCD.

En ce qui concerne l’extension de la compétence de la cour criminelle départementale aux accusés mineurs, le comité estime que cela s’avérerait difficile, faute de ressources humaines suffisantes et d’un besoin de modification de la loi, mais cela pourrait faire l’objet d’une étude dans le cadre de la mise en œuvre d’une expérimentation, dans un premier temps.

Il est également proposé qu’en cas d’appel, l’affaire soit traitée par la cour d’assises d’appel du même département que la CCD ayant prononcé la décision. Le comité considère qu’une telle désignation permettrait d’assurer une meilleure fluidité de traitement des affaires criminelles.

Par ailleurs, le contentieux soumis aux CCD étant essentiellement celui des violences sexuelles, le comité estime souhaitable que les magistrats à titre temporaire et magistrats honoraires disposent de modules dédiés de formation.

Enfin, l’un des éléments de réussite de l’expérimentation tenant au fait que la présidence des CCD est assurée par un magistrat rompu à la procédure criminelle, le comité propose d’en faire une condition du maintien de bon fonctionnement de la procédure criminelle en CCD.

 

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